samedi 19 juin 2010

Gavante, la diversification ?

Un samedi après-midi de juin, par une chaleur orageuse, presqu'écrasante. C'est jour de gala de judo, mais dans la salle des fêtes où se déroule l'événement, Elliott et moi manquons d'air. Installés à l'ombre d'un grand arbre, nous ne verrons pas les passages de grades, mais serons témoins d'un autre "spectacle". Une petite Julia, qui semble être sensiblement du même âge qu'Elliott, vient d'être, elle aussi, posée dans l'herbe par son papa. C'est l'heure du goûter.
De son super sac glacière, le papa de Julia sort une couche (tiens, on ne m'avait pas dit que les Pampers se conservaient mieux au froid ?!), un bavoir, une compote et deux petits suisses. Le parfait attirail du goûter parfait de bébé parfaitement diversifié. Mais alors, où est l'erreur ???, me direz-vous.

Et bien, "l'erreur" fut triple (à mes yeux, ça va de soi) : tout d'abord, Julia nous tourne le dos. Ce n'est pas un hasard : son papa ne veut pas qu'elle soit distraite par l'autre bébé (mon fils, en l'occurrence). Sauf que justement, c'est ça qui l'intéresse ; et de tourner la tête, et de faire tous les efforts du monde pour tenter de nous avoir dans son champ de vision. Là, deuxième erreur : son père l'appelle de son prénom, et la siffle (si si, je vous jure, il la siffle comme vous le feriez de votre chien pour qu'il revienne au pied), histoire d'attirer son attention. Parce que ça l'énerve, son papa à Julia, de voir que sa fille n'est pas concentrée sur son goûter, sa petite cuillère, son pot de compote et son petit-suisse. Alors il la siffle, la rappelle à l'ordre avec autorité (normal, c'est un père, il faut bien qu'il montre qui est le chef), la rassied d'aplomb dans son axe à lui, et dès qu'elle se retourne enfin vers lui, hop, il lui enfourne sa cuillère dans le bec. Est-il nécessaire d'ajouter il lui enfourne "de force" ? (et c'est là la troisième erreur, vous l'aurez compris).

Ce papa, qui ne manquait certes pas d'autorité, était toutefois dépourvu de jugeote : s'il avait seulement installé sa fille en sorte qu'elle voie "l'autre bébé", il aurait pu la gaver sans même qu'elle s'en rende compte. Julia n'avait pas faim de compote et de petit-suisse, elle avait faim de rencontres, de découvertes et d'échanges. Mais 16h, ce n'est pas une heure pour ces choses-là, c'est une heure pour le goûter, point. Son éveil passera sans doute à travers des dizaines de jouets tous plus sophistiqués les uns que les autres ; en attendant, elle n'aura pas eu le droit de nous regarder, pas eu le droit de toucher l'herbe, pas eu le droit de mettre les doigts dans sa compote. Son goûter aura été avalé en quelques minutes, à l'heure dite (par le père), sans bavure ni tâche. Pas de mains sales, pas même de bouche à essuyer (le papa est un tireur d'élite, il faut dire que c'est au moins son troisième enfant, on sent qu'il a l'expérience du gavage à la petite cuillère). Respect.

Et Elliott ?
Et bien, Elliott mange des souris vertes* pendant que sa maman lui pèle un abricot. Et c'est Elliott qui prendra dans sa main les morceaux d'abricot que lui tendra sa maman, et les portera lui-même à sa bouche. Hummm, que c'est bon ! Deux abricots plus tard, Elliott s'en est fait un masque sur tout le visage (l'abricot, c'est très bon pour la peau), et sa maman en a plein les doigts. Deux abricots plus tard, c'est aussi un bon quart d'heure plus tard, car Elliott, tout glouton qu'il est, a eu besoin de faire une pause pour observer Julia et son papa. Qu'importe, puisque nous n'avions pas de train à prendre, qu'il n'y avait pas le feu (ni au lac, ni à l'arbre), que c'était samedi et qu'il faisait beau (pour une fois !).

Dès les débuts de la diversification alimentaire avec Elliott, nous avons pris la chose de manière très "cool". Pourtant, ce n'était pas cuit d'avance : en effet, quand il avait 5 mois environ, j'ai commencé à "stresser" sur le sujet : comment allais-je m'y prendre ? Que lui donner en premier ? A quel moment le faire téter ? le faire manger ? En quelles quantités ? Des questions qui m'avaient finalement très peu perturbée pour mes deux filles, puisque je faisais alors une confiance aveugle au tout-industriel et me référais aux étiquettes "dès 6 mois", "dès 9 mois" etc. des petits pots et, accessoirement, aux nounous qui gardaient mes chérubines. Là, la situation se présentait différemment : pas de nounou, une maman à la maison, deux expériences de diversification finalement peu satisfaisantes (je reconnais avoir fait preuve d'aussi peu de délicatesse avec mes filles que le papa de Julia avec la sienne...), un bébé toujours allaité à la demande, bref, un contexte totalement différent. Pour quel résultat ?

Tout d'abord, nous avons décidé de laisser à Elliott le temps de choisir QUAND commencerait sa diversification. Depuis sa naissance, Elliott a toujours été présent à nos repas : soit sur nos genoux, soit, une fois qu'il a tenu assis, dans sa chaise. On s'est dit que naturellement, un jour où l'autre, il finirait par s'intéresser au contenu de nos assiettes et par vouloir nous imiter. Lorsqu'il a été capable de porter ses jouets à sa bouche, donc de les saisir seul, il en a fait de même avec la nourriture. Exit les compotes données à la petite cuillère les bras attachés dans le dos, on a opté pour les morceaux de légumes et de fruits fondants, à attraper et à manger soi-même.

La diversification, jusqu'à un an, est affaire d'éveil plus que d'alimentation : en effet, les besoins alimentaires sont comblés par les apports en lait (que le bébé soit allaité ou non), le reste (entendez par-là les solides) n'étant qu'une étape d'un processus d'apprentissage qui consiste à "manger comme un grand", c'est-à-dire mastiquer, avaler. Tout comme l'enfant apprendra à marcher par étapes, il apprend à manger par étapes. Et ces étapes ne passent pas nécessairement par une phase purée passée au tamis, puis une phase purée écrasée à la fourchette avant une phase morceaux. L'enfant peut, physiologiquement, se débrouiller avec des morceaux, pour peu qu'on ne les lui mette pas de force dans la bouche (c'est lui qui gère !) et que ce soient des morceaux "fondants" (pas de carotte crue, ça va sans dire...).

Elliott ne mange que ce qu'il porte lui-même à sa bouche...

C'est, au final, un exercice de motricité fine qui s'avère risqué uniquement pour les vêtements de l'enfant et le sol de la cuisine... Mais pour l'enfant en question, ce sont de grands moments de découverte, et de bonheur : en plus des saveurs, il découvre les couleurs et les textures des différents aliments qu'on lui propose ; il découvre aussi que la patate douce trop cuite s'écrase dans la main, alors que la poire glisse si on la serre trop fort. Et puis, c'est vraiment lui qui décide quand arrêter de manger. Et maman ne stresse pas parce que le petit pot n'est pas fini aujourd'hui. J'ai appris, fortuitement, que ce mode de diversification s'appelle la diversification autonome et consciente (voir référence plus bas). Encore une chose que je n'aurai pas inventée - quelle déception !


 Une diversification autonome suppose une maman pas trop portée sur la propreté
de la tenue vestimentaire de son enfant...

Bien entendu, d'ici quelques mois, quelques années tout au plus, on ne verra plus de différence entre l'enfant qui aura ingurgité des purées bien lisses de 6 à 9 mois et celui qui aura refait le carrelage de la cuisine biquotidiennement durant la même période. Je n'ai personnellement pas de recul pour évaluer d'éventuelles conséquences à long terme de ce "nouveau" mode de diversification. Mais je peux vous assurer par contre que la zen attitude est quelque chose de très appréciable - pour nous, pour notre fils, et pour les autres personnes autour de la table.

Au-delà de l'anecdote initiale, je voulais réfléchir au message que nous délivrons à nos enfants au cours de ces périodes-clés de la toute petite enfance. Pourquoi la diversification alimentaire devrait-elle prendre des airs de gavage industriel ? Quel en est l'intérêt ? Sans doute un gain de temps pour les parents - pas de pédalage dans la semoule, mais pour l'enfant ? Que retiendra-t-il de ces instants de gavage passif ? Doit-on (le faire) manger seulement pour s'alimenter ? Ne peut-on pas aussi (le faire) manger avec plaisir, à défaut de (le faire) manger pour le plaisir ?

Tout bien considéré, ce qui importe le plus n'est peut-être pas tant ce que l'on donne à manger - petit pot ou fait maison, purée bien lisse ou morceaux fondants - mais la manière dont on le donne, dont on partage ce moment avec lui...

 Quel plaisir d'être à table !!

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Quelques idées de lectures complémentaires :
  • L'introduction des solides chez les bébés allaités : un dossier publié dans la revue de La Leche League, Allaiter Ajourd'hui n°62.

3 commentaires:

BZH Matth a dit…

Pour que manger reste un plaisir, c'est quand même pour sympa qu'il choisisse.
La différence ne se verra peut-être pas dans les bonnes manières à table, mais dans le "goût" de manger... peut-être, je n'ai fait aucune étude là-dessus.

Anonyme a dit…

Article lu à point nommé: je suis en pleine crise existentielle à propos de la diversification de ma fille. 8 mois, allaitée, la petiote ne veut rien savoir de mes purées à la maison, qu'elle avale très bien chez sa Nounou! En desespoir j'ai fini par lui mettre dans un bol des morceaux entiers de chou fleur cuit ... qu'elle a bien voulu manger. En en étalant bien sur un peu au passage sur sa chaise, la table, le sol, etc. Mais j'ai ma réponse: chez la nounou, on lui colle la cuillère dans le bec, mais à la maison, elle ne mangera que si elle peut le faire toute seule. Merci Montessori pour l'éclairage ... :)

DdM a dit…

A ce sujet, lire "Le quotidien avec mon enfant", de Jeannette Toulemonde. Elle insiste sur le fait qu'un enfant ne se laisse pas mourir de faim (a fortiori, un enfant allaité : il puise dans l'allaitement ce qui lui est essentiel jusqu'à 1 an au moins)et qu'il faut se retenir de le forcer à manger. Les enfants mangent parce qu'ils ont faim (ce que nous, adultes, ne savons plus vraiment faire - nous mangeons souvent parce que c'est l'heure !) ; inversement, s'ils ne mangent pas, c'est qu'ils n'en ressentent pas le besoin.
A moins que votre fille commence à présenter des troubles de croissance ou de comportement, mais sinon, n'ayez aucune crainte vis-à-vis de la diversification de votre fille !